Être peintre, c'est oser le paradoxePénétrer
dans le
lieu où l’on peint, c’est pour certains
se rendre en un endroit
où les habitudes et outils originent
l’œuvre, pour d’autres,
c’est entrer dans un lieu bruissant de la présence
du monde.
Daniel Mohen est de ceux-là ; près de son atelier
situé au bord de la Seine qui donne à tout objet
l’éclat argenté de ses reflets, des
carrières de
craie creusent dans la roche les longs tunnels oblongs que le travail
de l’extraction a creusés d’obscur dans
la pierre blanche.
Daniel Mohen s’y rend pour peindre car il sait
qu’être peintre
c’est oser le paradoxe et qu’il faut aller dans
l’ombre pour choisir la
lumière oblique, irradiée des reflets de
l’eau proche ;
elle révèle l’éclat de
l’instant que les brisures
des rochers déchirent. […] Daniel Mohen dit
qu’il tente
« d’arriver à
une forme ou deux s’articulant dans l’espace et la
lumière » et il
définit ainsi son rapport au visible. Voir
n’est pas pour lui la quête du séduisant
plaisir de l’œil,
mais
appréhender cette articulation des signes
essentiels où se joue à chaque fois la question
de ce qui
nous fait être. Nombre d’artistes ont
abandonné cette
voie-là, l’interrogation suscitée par
leurs œuvres est
celle du devenir de l’art, de ses limites. Il ne
s’agit pas de
dénigrer ces recherches souvent authentiques et
passionnées mais d’affirmer avec force
qu’une peinture peut
être d’une réelle nouveauté
— même si le
regardeur hâtif trouvera cela paradoxal —
à chercher dans
le contact avec le réel les signes originels qui qualifient
notre présence au monde. La nouveauté
n’est
peut-être plus dans l’absolument
différent mais dans le
fait de voir, comme jusque là nul n’a su voir, un
signe dans un
reflet...
Hervé DUETTHE |